La prévention est-elle un moyen de réduire les dépenses de santé et d’améliorer la qualité de vie?

​La prévention est présentée comme un des moyens de limiter les dépenses de santé. Entre 30 et 50 %, selon les pays européens, celles-ci concernent les personnes âgées de plus de 65 ans(1).

Ce constat explique que l’augmentation du nombre de personnes âgées fasse craindre une croissance importante des dépenses de santé. Qu’est-ce que prévenir ?

C’est d’abord agir afin d’empêcher la survenue d’un risque, accident ou maladie, objet de la prévention primaire qui agit sur les déterminants des phénomènes de santé. C’est aussi chercher à limiter leurs conséquences, incapacité, dépendance ou décès. C’est l’objet de la prévention secondaire (dépistage et diagnostic précoce) et tertiaire (réparation, compensation, adaptation).

La prévention est souvent abordée sans regard critique comme une activité ne pouvant apporter que des bienfaits aux individus et à la société : « mieux vaut prévenir que guérir » dit-on. L’objectif de cet article est d’aider à une meilleure appréhension des effets attendus d’une politique de prévention destinée aux personnes âgées dans une perspective de diminution des dépenses de santé.

Ainsi, en prenant l’exemple de la prévention de l’ostéoporose nous aborderons le fait que la prévention a un coût qui varie selon la nature des mesures entreprises. Puis nous montrerons que la prévention peut générer des dépenses médicales supplémentaires ce qui est le cas lors des examens systématiques de prévention.

Enfin la balance bénéfice-risque de la prévention n’est pas toujours favorable comme le montre le dépistage du cancer de la prostate. L’efficience des actions préventives en définitive se heurte à de nombreux obstacles qu’il importe de prendre en compte.

Prévention de l’ostéoporose : approche médicale et/ou psycho-sociale ?

Les coûts de la prévention varient selon la nature des actions entreprises. La diminution de l’incidence des fractures ostéoporotiques est une des cibles majeures de la prévention dans la population des personnes âgées car elles sont une cause importante d’incapacité et de mortalité.

Dans l’approche médicale, la fracture est en rapport avec une fragilité osseuse qu’il convient de diagnostiquer précocement et de traiter médicalement.

reponses sante senior

La mesure de la densité osseuse (DMO), un des facteurs de la fragilité, est facilitée par la diffusion des appareils de densitométrie.

Parallèlement des médicaments ont fait la preuve de leur efficacité pour freiner la sénescence osseuse. Le résultat est que les médecins proposent une DMO à la plupart des femmes ménopausées, quel que soit leur risque. C’est en fonction entre autres du résultat de cet examen que le médecin décide ou non de surveiller la personne en répétant régulièrement la DMO et les examens biologiques, voire de débuter un traitement qui durera des années.

Mais les avis des spécialistes ne sont pas unanimes concernant la façon d’interpréter les résultats, notamment de définir le seuil diagnostic d’ostéoporose et le seuil d’intervention pour les femmes dites à haut risque. Le résultat de ces incertitudes fait qu’un certain nombre de femmes sont inutilement suivies et dites à haut risque. Tout cela a un coût qu’il serait souhaitable d’évaluer.

De plus, les études épidémiologiques prospectives ont montré que la plupart des fractures ostéoporotiques survenaient chez des femmes qui avaient un risque moyen de fracture pour leur âge.

Cela signifie que la stratégie de prévention précédente, basée sur le dépistage et le traitement médical des femmes ostéoporotiques jugées à haut risque de fracture par la DMO, n’est pas suffisante pour réduire de façon significative le nombre de fractures à l’échelle de la population.

Les personnes âgées se fracturent parce qu’elles tombent. Aussi les mesures visant à diminuer la fréquence et les conséquences des chutes pourraient être particulièrement utiles dans ce contexte. Parmi les mesures évaluées, l’entraînement physique, le travail de l’équilibre, les séances de Tai Chi Chuan apparaissent comme des moyens de prévention efficaces (2). Cette approche dite psycho-sociale a aussi un coût qu’il importe d’évaluer mais que l’on peut supposer inférieur aux coûts médicaux précédents même si elle concerne un nombre plus important de femmes.

Ces deux stratégies ne s’opposent pas. Encore faudrait-il comparer leur coût et leur efficacité respectifs pour supprimer une fracture ostéoporotique.

Il faut reconnaître qu’actuellement, l’approche médicale, soutenue par l’industrie pharmaceutique qui produit les médicaments anti-ostéoporotiques, se développe plus facilement que l’approche psychosociale proposée par d’autres acteurs de la prévention comme les mutuelles, les caisses de retraite complémentaire ou les municipalités.

Les dépenses de ces deux approches ne seront pas imputées aux mêmes comptes : l’une aux dépenses de santé (en réalité de soins), l’autre aux dépenses d’action sociale.

Les examens systématiques de santé : risque de médicalisation de la vieillesse ?

L’une des mesures proposées par le plan national « Bien vieillir » concerne la réalisation d’un bilan régulier de prévention après 65 ans. Il devrait permettre de dépister précocement des anomalies ou des facteurs de risque susceptibles de bénéficier d’une intervention afin d’en diminuer leurs conséquences.

Le bilan permet d’introduire dans le champ médical des malades qui s’ignorent(3). L’un des résultats est de générer des dépenses de soins supplémentaires.

La contrepartie attendue serait la possible diminution des conséquences des facteurs de risque et des déficiences identifiées et donc l’amélioration de la qualité de vie au grand âge. Cela n’a jamais été démontré sur des bases rigoureuses.

Si le bénéfice individuel est probable pour les personnes à qui on dépiste une anomalie que l’on peut supprimer, le bénéfice pour la population est moins sûr et mériterait d’être vérifié.

En effet, ce ne sont pas les populations qui en ont le plus besoin qui répondent habituellement aux invitations à venir passer un bilan de santé. Aussi, le coût-bénéfice des bilans de santé pour la population des personnes âgées souvent déjà médicalisées devrait être évalué, ce qui n’est pas actuellement le cas.

Mais ces bilans se heurtent à des difficultés génératrices de dépenses de soins. Ainsi, au fur et à mesure de l’avancée en âge, les frontières entre vieillissement et maladie, entre vieillissement normal et vieillissement pathologique sont difficiles à distinguer.

On risque de mal interpréter des manifestations physiologiques en rapport avec les processus du vieillissement. On conçoit les conséquences, notamment psychologiques, qui peuvent en résulter. C’est aussi la porte ouverte à la médicalisation de la vieillesse avec tous les coûts médicaux et psychologiques qu’elle peut engendrer.

Les actions visant à réduire les facteurs de risque (hypertension artérielle, hypercholestérolémie, obésité), axes majeurs de la prévention chez l’adulte jeune, soulèvent d’autres questions.

Leur intérêt chez les personnes de plus de 75 ans est controversé car l’effet délétère de ces facteurs ne semble pas être de la même intensité selon les âges.

Elles génèrent des consultations médicales régulières (à vie !) ainsi que le renouvellement, sans réflexion, d’ordonnances comprenant de nombreux médicaments dont les interactions peuvent être à l’origine d’effets iatrogènes et donc de dépenses supplémentaires.

Gilbert Welch, Professeur de médecine à l’Université de Darmouth (USA) met en garde contre les surdépistages et sur-diagnostics. A partir de nombreux exemples, il montre que les experts de la prévention exagèrent les bénéfices du dépistage et minimisent les inconvénients(4). C’est particulièrement le cas dans les populations âgées.

prevention pour les seniors

Une balance bénéfice-risque qui n’est pas toujours favorable

Le cancer de la prostate est un des cancers les plus fréquents chez les hommes âgés de plus de 65 ans. Le dépistage est rendu aisé par le dosage sanguin de l’enzyme spécifique de prostate (PSA).

Mais si la sensibilité de ce dosage est élevée, sa spécificité est faible. Aussi, de nombreuses personnes sont inquiétées à tort et vont subir des examens médicaux, radiologiques et biopsiques inutiles voire dangereux. Dans l’étude européenne(5) plus de 75% des résultats positifs étaient des faux positifs.

Des hémorragies (22%), des douleurs (7%) et des infections (3,5%) ont été déclenchées chez des patients par les examens.

L’étude ne dit rien des conséquences psychologiques entraînées par la crainte d’un diagnostic de cancer qui s’avérera fausse par la suite.

Enfin, si une diminution de la mortalité par cancer de la prostate chez les patients incités au dépistage par rapport au groupe témoin a été mise en évidence, cette diminution est modeste et la mortalité globale n’est pas statistiquement différente dans les deux groupes après 9 ans de suivi.

Certes le dosage du PSA peut aider à mettre en évidence des cellules cancéreuses. Malheureusement les potentialités agressives de ces cellules sont difficiles à apprécier. L’intervention chirurgicale peut donc retirer une tumeur quiescente et être à l’origine de dysfonctionnements urinaires et sexuels. Curieusement rien n’est dit, dans l’étude européenne, des conséquences des interventions chirurgicales. Pour nombre d’experts, la balance bénéfices/risques ne parait toujours pas favorable à la mise en place d’un dépistage de masse chez les hommes de 55-69 ans(6).

Améliorer l’efficience des actions de prévention et la participation des populations

La croyance que la prévention permet de faire des économies de santé est probablement à réviser si l’on suit nos exemples précédents.

Cela n’élimine pas son intérêt pour réduire les conséquences des maladies chroniques et invalidantes dans les populations âgées.

Mais cela nécessite que l’on apporte des solutions à quatre problèmes qui réduisent l’efficience des mesures et la participation des populations : la mesure de l’efficacité et des coûts des interventions, la révélation des conflits d’intérêt, la discussion des finalités des actions préventives et la mise en place d’une organisation adaptée aux objectifs.

Les stratégies de prévention devraient en premier lieu avoir fait la preuve de leur efficacité dans les populations âgées. De même que l’on cherche à développer une pratique médicale fondée sur des preuves scientifiques (evidence-based medicine), les mesures de prévention devraient également être fondées sur des données scientifiques (evidencebased prevention).

Les données devraient être recueillies à partir d’essais randomisés contrôlés. L’utilité des mesures en population devrait également être jugée et pour cela les études devraient concerner des populations moins artificielles que celles des essais.

Leurs effets indésirables, physiques ou psychiques devraient être pris en compte tout comme les coûts directs et indirects dans des études coûts/bénéfices. Nous en sommes très loin en France et pourtant les propositions d’actions de prévention destinées à assurer un bien-être physique et psychique à un âge avancé se multiplient.

Comme toute pratique sociale, la prévention soulève de multiples questions concernant sa dépendance à des intérêts corporatistes et industriels.

Les pouvoirs publics font appel en règle générale à des experts scientifiques et dans le domaine du vieillissement à des médecins gériatres.

Rien d’étonnant dans ces conditions que la prévention soit principalement conçue dans une approche médicale et individuelle.

Comme le suggérait déjà Ivan Illich il y a 40 ans(7), la prévention est souvent le meilleur moyen pour amener des personnes à se sentir malades et à demander des soins en accord avec les catégories médicales. L’implication croissante de l’industrie agro-alimentaire dans la production de messages préventifs avec l’aide de leaders médicaux et chercheurs scientifiques est un autre exemple de conflits d’intérêts dans la prévention.

Cela pose la question des finalités des actions de prévention : consommation d’activités préventives et de soins ou/et production de santé par l’amélioration de l’environnement de vie et l’augmentation des ressources personnelles. Le risque est d’intervenir dans la vie des sujets en imposant « une » représentation de la vieillesse, « une » conception du « bien vieillir » et de la qualité de vie.

Que signifie dans ces conditions un plan national « Bien vieillir », opérationnel pour ceux qui peuvent se saisir des propositions du plan ? Ne gomme-t-il pas toutes les inégalités de santé qui accompagnent le vieillissement de la population ? Quel rôle joue la prévention dans ces disparités?

Ne participe-t-elle pas au maintien voire à l’accroissement des inégalités sociales de santé ?

Walking with cane

On peut décider de cibler les actions(8) en direction des personnes âgées les plus vulnérables, ce n’est pas pour autant qu’elles y répondront favorablement.

Les bonnes intentions ne sont pas un gage de réussite pour ces populations surtout quand les actions de prévention font l’impasse sur les préoccupations prioritaires qui conditionnent leur qualité de vie (revenus, logement, transports, services publics, environnement physique).

La mise en place de mesures préventives nécessite enfin l’aide de professionnels de santé publique, une organisation adaptée aux objectifs et un pilotage stratégique territorial au bon niveau.

Le rapport d’évaluation du plan « Bien vieillir » réalisé par le Haut conseil de santé publique mentionne que, malgré des objectifs ambitieux et pertinents, il est à « déplorer un déficit de gouvernance, de structuration et de moyens ».

Il pointe la grande hétérogénéité voire l’inexistence d’un suivi d’activité et de budget, ainsi que l’absence d’une stratégie globale rassemblant les différents axes.

Cet exemple montre une fois de plus combien la traduction de bonnes intentions en un effet réel pour les populations est compliquée.

En conclusion, la prévention engage des coûts financiers et humains immédiats pour des avantages financiers et sanitaires hypothétiques et à plus long terme.

C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles la prévention occupe toujours une place secondaire dans le système de santé français (2,6% des dépenses de santé en 2009)(9).

Certes le champ de la prévention est difficile à définir tout comme les limites à tracer entre prévention et soins, difficultés qui font sous-estimer les efforts de prévention.

Mais le lien entre l’évolution des structures d’âge des populations et l’évolution des dépenses de santé est en réalité moins évident qu’il n’y parait.

D’autres facteurs comme la diffusion des nouvelles technologies de diagnostics et de traitements ainsi que les façons de prendre en charge les maladies chroniques seraient des facteurs déterminants dans l’évolution des dépenses de santé. Le vieillissement de la population n’expliquerait donc qu’une faible part de la progression des dépenses de santé (10).

La prévention en définitive repose sur la promesse d’une vieillesse saine sans maladie grave avec une vigueur intellectuelle et physique conservée si on suit ses recommandations. Comme toute promesse elle n’engage que ceux qui y croient.

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